ANIMOT(S)

J’ai intitulé cette série animot(s), terminologie que j’ai empruntée à Jacques Derrida, philosophe de la déconstruction, et entre autre de la déconstruction de la tradition philosophique qui s’échine à démarquer l’homme fondamentalement de l’animal alors même que l’homme en est issu. En travaillant sur le thème de l’animalité, j’ai effectivement très vite été confrontée à l’impensé du concept. L’animalité serait dépourvue de tout ce qui est censé être les propres de l’homme L’animalité serait de ne pas être, de ne pas avoir tout ce que l’homme est, a. Elle serait un concept en creux qui vise moins à caractériser l’essence animale qu’à asseoir la dignité de l’homme.

Dans L’animal donc que je suis, Derrida déconstruit ce clivage en travaillant sur le passage des frontières entre l’homme et l’animal pour se rendre à l’animal en soi mais aussi en moi, il examine les différentes modalités de l’être :  le je suis après lui, mais aussi auprès de lui et près de lui. Il invente le mot animot qui, prononcé, fait entendre le pluriel animaux pour rappeler l’extrême diversité que le mot animal efface et qui, écrit, fait apparaitre que ce mot animal n’est précisément qu’un mot. La violence faite à l’animal commence aussi avec ce pseudo concept, l’animal au singulier, comme si tous les animaux constituaient un ensemble homogène. Le but est de rendre compte de la multiplicité et de l’hétérogénéité de l’animot et de l’homo. Dans animot, le suffixe mot rappelle aussi les mots dont les animaux sont dépourvus depuis l’origine. Il ne s’agit pas cependant de rendre la parole aux animaux, mais d’accéder à une pensée qui pense tout autrement l’absence du nom et du mot que comme une simple privation.
C’est du côté de la littérature que j’ai trouvé cette pensée autre qui brouille souvent la frontière entre animalité et humanité afin de questionner l’identité de l’un et de l’autre et d’ouvrir à l’altérité. Mes images cherchent à faire apparaitre la fragilité, la porosité de ces frontières supposées du propre sur lesquelles on a cru si longtemps pouvoir fonder l’opposition inébranlable homme/animal. Si mes images tentent d’ébranler la certitude de l’animalité de l’animal, elles n’en n’ébranlent pas moins l’arrogante certitude de l’humanité de l’homme.
Pour ce travail, je me suis inspirée de :

La femme changée en renard de David Garnett(1924),
Le fils de l’ours père de Nicolas Presl (récit muet 2010),
Maus d’Art Spiegelman( 1986-1991)