«On devient un natif de cette terre seulement quand on sait changer de lieu. »
Cette citation de John Rajchman renvoie à la relation de l’homme à sa planète, qui se définit davantage par un déplacement à la surface de celle-ci que par un attachement à une zone spécifique. Des millions de personnes se déplacent par contrainte ou par choix, pour des raisons politiques, économiques ou climatiques, remettant en cause la sédentarité, le fait d’être ici et pas ailleurs, le fait d’être stabilisé dans une région, dans une nation.
Cette migration prend cependant, aujourd’hui, trop souvent des allures de fuite et est vécue comme une véritable tragédie quand celui, qui pense avoir tourné le dos à l’enfer, s’aperçoit qu’il s’y enfonce davantage. L’autre monde, auquel le migrant voudrait accéder, ne cesse de se dérober. Il a perdu son pays sans en trouver un autre. C’est alors que commence l’errance et la précarité d’une vie de campement sans durée annoncée. Pays doublement perdu, assignation à vivre dans des non lieux, des non pays.
Selon l’urbaniste essayiste Paul Virilio, ce grand mouvement actuel de population s’accompagne de ce qu’il nomme un « géocide », la mort de la géographie. Avec le développement grandissant des télétechnologies, le sédentaire est celui qui est partout chez lui tandis que le nomade y est nulle part, hormis dans les camps de transit. Avec Google Earth, la terre n’aura bientôt plus aucun secret pour personne, on aura tout vu, voyagé partout. On assiste à une réduction du pays terre qui perd de son immensité et de ses mystères. La cartographie devient obsolète pour le plus grand nombre. Dans mes images, ce sont les cartes qui redonnent de l’épaisseur au monde car c’est dans l’irréductible écart entre les cartes et le monde que s’exerce l’imaginaire. Les cartes sont des machines à rêve qui génèrent de la terra incognita où n’y logent pas, comme on le pensait au moyen âge, que des dragons. Face au réel devenu insupportable, elles incitent à ne pas désespérer d’un ailleurs, promesse d’une autre vie.
« Une carte du monde qui n’inclurait pas l’Utopie n’est pas digne d’un regard, car elle écarte le seul pays auquel sans cesse l’humanité aborde » Oscar Wilde